Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que le temps de planification en commun est un élément essentiel pour assurer un enseignement efficace et adapté à tous les élèves (Friends and Cook, 1995 dans Angelucci et Benoit, 2011, p.113).
Coenseigner, ça a représenté pour moi beaucoup de remises en question sur certains choix pédagogiques et ça m’a amené à intervenir différemment auprès des élèves. Au fil de ces quelques années à coenseigner, mes collègues et moi avons également tenté de rendre ce modèle d’intervention plus efficace entre autres en bonifiant nos pratiques de planification commune. Ainsi, plusieurs auteurs s’entendent pour dire que le temps de planification en commun est un élément essentiel pour assurer un enseignement efficace et adapté à tous les élèves (Friends and Cook, 1995 dans Angelucci et Benoit, 2011, p.113). Ce dernier est, par ailleurs, l’un des obstacles les plus fréquemment rencontrés dans la pratique. Il est en effet parfois difficile de trouver des moments communs et réguliers pour discuter et planifier nos interventions. En ce sens, le soutien de la direction, qui peut offrir par exemple du temps libéré pour la concertation, est l’un des facteurs essentiels au coenseignement souvent mentionné dans les écrits. La mise en œuvre d’une pratique de coenseignement est ainsi facilitée lorsque la direction tente d’optimiser l’organisation interne de l’école pour éviter que les enseignants rencontrent des obstacles (Scruggs, Mastropieri et McDuffie, 2007, dans Angelucci et Benoit, 2011, p.113). Aussi, en tant qu’équipe-école qui souhaite mettre en place le coenseignement, il faut être amené à réfléchir autrement et à faire des choix pédagogiques différents. Ainsi, c’est tout le service d’orthopédagogie qui doit être repensé, ce qui demande une concertation commune de la part de tous les intervenants impliqués, et bien évidemment de la direction.
De ce fait, dans cet article, je présenterai des éléments à considérer pour planifier le coenseignement, qui seront bonifiés d’outils ou d’exemples personnels. Évidemment, ces exemples personnels doivent être adaptés en fonction de chaque milieu et de sa réalité. En effet, les conditions qui soutiennent la mise en œuvre du coenseignement dépendent beaucoup des ressources humaines à disposition, du degré d’enseignement, de la taille de l’école et des croyances pédagogiques de chacun par exemple (Angelucci et Benoit, 2011, p.112).
Coenseigner, par où commencer ?
Échanger sur sa vision
Une fois les équipes de co-enseignants formées, une première rencontre est bénéfique pour préciser ensemble les buts et les objectifs du coenseignement ainsi que pour clarifier nos attentes envers les élèves et entre les co-enseignants (Murray, 2004 dans Dubé et al, 2019, p.10). Cette première rencontre sera évidemment bien différente selon que l’on connaisse l’autre enseignant ou non ou selon qu’on ait déjà travaillé en collaboration ou en coenseignement avec ce dernier.
Personnellement, lorsque j’ai commencé mes recherches pour ce projet, j’ai réalisé que cette première rencontre ne faisait pas nécessairement partie de mes habitudes pédagogiques malgré son importance pour la suite du travail collaboratif. De par mon expérience, j’ai appris à m’adapter aux pratiques pédagogiques de mes collègues avec de l’expérience alors que je guidais davantage les discussions avec mes collègues nouvellement arrivés ou ayant moins d’expérience comme enseignant ou comme co-enseignant. Par ailleurs, discuter de nos appréhensions, du but commun, des objectifs et des attentes de tous permet d’avoir une meilleure communication et une meilleure compréhension des rôles de chacun, ce qui peut éviter d’éventuels problèmes de communication.
Cette rencontre peut avoir lieu à plusieurs moments dans l’année au courant des périodes de planification commune afin de se réajuster selon les besoins observés par exemple surtout en ce qui a trait aux objectifs et aux attentes. Il en va de même lorsque qu’un nouveau membre du personnel (remplaçant ou intervenant différent) se joint à l’équipe.
Prévoir des moments de rencontres fréquents
L’une des erreurs que j’ai réalisées le plus longtemps en ce qui a trait à la planification du coenseignement est de ne pas avoir fixé des moments de rencontres précis et fréquents avec les enseignants avec lesquels je travaillais. Ainsi, nous nous rencontrions habituellement lors des journées pédagogiques pour discuter des élèves, des activités passées et pour planifier les prochaines activités. Or, le délai entre celles-ci faisait en sorte que nous avions de la difficulté à planifier spécifiquement ce que nous allions faire, car il fallait parfois planifier pour plus d’un mois. La planification était donc plus globale, mais cela faisait en sorte qu’il était plus difficile de se répartir les tâches de préparation ainsi que les rôles plus spécifiques des intervenants lors de l’activité. Les besoins des élèves avaient de fortes chances de changer et plusieurs imprévus dans l’horaire pouvaient survenir. Les activités initialement prévues ne cadraient donc plus toujours dans l’horaire ou nous ne nous souvenions plus de quoi nous avions discuté. Cela faisait donc en sorte que nous devions essayer de nous rencontrer dans d’autres moments ou nous nous rencontrions rapidement la veille dans le cadre de porte pour nommer ce que nous voulions faire. Il va s’en dire que l’efficacité du coenseignement en était parfois affectée. J’avais toujours l’impression de manquer de temps et de courir après tout le monde pour savoir quelles activités nous allions faire et comment nous l’animerions. Beaumont, Lavoie et Couture (2011) mentionnent, de ce fait, qu’il est important d’accorder des moments d’échanges entre les acteurs dans des plages horaires planifiées et structurées. L’importance de ces moments a été démontrée comme une des conditions qui influencent le recours aux pratiques collaboratives en milieu scolaire (p.19). Cette année, nous avions donc décidé de fixer à l’horaire une rencontre par cycle de 10 jours (une rencontre pour chaque enseignant avec qui je travaille). Elles se déroulaient lors d’une période libre commune ou sur l’heure du dîner selon les préférences de chacun. J’ai vu une énorme différence. D’une part, nous n’avions plus besoin de nous rencontrer simplement pour nous fixer une rencontre. Celle-ci était fixée à nos horaires respectifs. Également, étant donné le délai plus court entre les rencontres, nous avions du temps pour mieux planifier nos interventions, nous répartir les tâches à préparer (photocopies, création d’un document ou d’un outil, etc.). Cela nous a permis également de nous réajuster plus facilement après certaines interventions ou certains besoins observés en cours de route.
Organiser un horaire viable
Dans le meilleur des mondes, je vivrais le coenseignement à temps plein avec une ou deux collègues toute l’année. Bien évidemment, la réalité fait en sorte que cela n’est pas possible. J’ai tout de même la chance de travailler dans une école où nous sommes sept orthopédagogues. Nous travaillons donc en moyenne auprès de 4 à 5 classes. Pour faciliter la gestion d’un horaire et permettre un coenseignement plus efficace et facile pour tous, il est plus facile de limiter le nombre de niveaux scolaires et les disciplines couverts par l’équipe d’enseignants. Cela s’applique en général davantage aux orthopédagogues, qui sont parfois appelés à travailler auprès de plusieurs niveaux. En limitant également le nombre de partenaires de coenseignement, cela permet une plus grande flexibilité dans l’horaire et cela permet de répondre davantage aux besoins de tous les élèves. Également, lors du développement de l’horaire, il faut prendre en compte les besoins des élèves et des différents groupes. J’essaie donc de moduler les périodes offertes en fonction des besoins.
Par ailleurs, organiser un horaire où l’on veut que le coenseignement soit intégré demande de faire des choix entre autres au niveau de l’organisation du service en plus de tenir compte de certaines contraintes du milieu :
- Quels élèves prioriserons-nous pour du service de co-intervention externe (en sous-groupe à l’extérieur de la classe – plus communément appelé dénombrement flottant) et quel sera l’objectif précis de cette rééducation pédagogique ?
- Quels élèves seront davantage soutenus en classe ?
- Voulons-nous planifier des interventions avec d’autres intervenants durant la même période (TES, psychoéducatrice, enseignante de francisation, etc.)
- Comment déterminerons-nous les besoins, les objectifs d’intervention et les élèves à cibler (observations, tests diagnostiques, etc.) ?
- À quelle fréquence les élèves ciblés pour des interventions du niveau 3 seront-ils vus ?
Je vous propose ici un exemple d’horaire en début d’année. Je revois toutefois mon horaire environ 3-4 fois par année en fonction des évaluations diagnostiques que nous faisons en cours d’année pour revoir nos objectifs globaux d’intervention et ainsi s’assurer de répondre adéquatement aux besoins de tous. Bien évidemment, cet horaire doit être ajusté en fonction de chaque milieu (ressources, horaires, contraintes, choix pédagogiques, etc.) comme mentionné précédemment.
Coplanifier au quotidien
Lorsque nous avons ciblé un ou des objectifs d’intervention lors des périodes de coenseignement, les moments communs de concertation serviront par la suite à planifier et à préparer les activités plus spécifiques en classe. Les conseillers pédagogiques de mon centre de services scolaires (Laval) ont fait un résumé des différentes étapes dans le processus de coplanification.
Par exemple, une enseignante et moi avions comme objectif global de travailler les compétences d’écriture des élèves de première année et plus spécifiquement l’écriture de mots. Notre intention pédagogique du début de l’année était de les inciter à écrire malgré leur peu de connaissances sur le code écrit. Nous avons choisi de travailler avec les ateliers d’écriture avec des mini-leçons et de la pratique guidée comme dispositif d’enseignement. Par la suite, nous avons déterminé les rôles de chacun ainsi que les tâches à se séparer en vue des périodes à venir. De ce fait, étant donné que lors de ma formation universitaire de 2e cycle, j’avais eu un cours sur les ateliers d’écriture et que l’enseignante et moi sommes à nos débuts dans ce dispositif d’enseignement, je me suis proposée pour préparer la mini-leçon sur les stratégies d’écriture de mots et animer celle-ci avec les élèves lors de la période. Pour sa part, elle préparerait le matériel dont les élèves auraient besoin pour débuter les ateliers d’écriture (duo-tang, feuille vierge d’écriture, etc.) et elle animerait l’explication du tableau d’ancrage qui soutient la mini-leçon. Pendant la pratique guidée, nous allions circuler dans la classe pour soutenir les élèves et les questionner sur l’utilisation de leurs stratégies. Je prendrais également des photos d’eux en action afin d’optimiser notre tableau d’ancrage pour la prochaine mini-leçon. Les modalités de coenseignement priorisées ici étaient l’enseignement partagé ainsi que le soutien partagé. En ce qui concerne la coévaluation, elle servirait principalement à réguler notre enseignement. Nous allions analyser lors d’une prochaine rencontre de concertation les productions des élèves pour cibler les prochaines mini-leçons à animer ainsi que les élèves pour lesquels il faudrait offrir un soutien plus important.
L’utilisation d’une grille de coplanification peut aider à planifier nos interventions au quotidien surtout au début. À force de travailler en équipe toutefois, certaines étapes de la planification comme le rôle de chacun deviennent plus implicites pour les deux intervenants, ce qui rend plus efficace la planification et ce qui rend plus naturelles et fluides l’intervention et l’animation en classe.
En bref, planifier le coenseignement est l’une des étapes essentielles pour bien vivre le coenseignement. Cela implique évidemment une participation active et équitable entre les intervenants ainsi qu’un partage des responsabilités le plus juste possible. C’est malheureusement de par mon expérience et de par les récits d’expérience vécus par d’autres orthopédagogues ou d’autres enseignants, une étape qui est souvent escamotée ou mal organisée en raison des nombreuses contraintes du milieu scolaire (manque de temps, manque de soutien de la direction, manque de formation, etc.). Cela peut donc mener à une mauvaise compréhension des rôles de chacun et une communication plus difficile pour les enseignants, ce qui compromet la mise en œuvre d’un coenseignement agréable et efficace pour tous. Loin d’être encore parfait dans mon milieu, la mise en place d’une pratique de coplanification est de plus en plus présente avec la majorité des enseignants avec lesquels je travaille. Nous nous améliorons chaque année à partir des difficultés que nous avons vécues les années précédentes. Avec de la persévérance, de la flexibilité, une ouverture d’esprit et une capacité à s’adapter, tout est possible !
Références
Angelucci, V. et Benoit, V. (2011). Réflexions autour du concept de coenseignement en contexte inclusif. Éducation et francophonie, 39(2). 105-121.
Beaumont, C., Couture, C. et Lavoie, J. (2011). Les pratiques collaboratives en milieu scolaire : cadre de référence pour soutenir la formation. Québec : Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), Université Sherbrooke.
Centre de services scolaire de Laval (2020). Choisir une modalité de coenseignement — document sur le coenseignement élaboré par les conseillers pédagogiques. Laval : Centre de services scolaire de Laval.
Dubé, F., Dufour, F. et Paviel, M.-J. (2019). Quelques pistes pour expérimenter le coenseignement en classe. Montréal : Apprenants en difficulté et littératie (ADEL), Université du Québec è Montréal.